Dans les années 50, des médecins occidentaux décrivirent dans l’Est de la Papouasie Nouvelle Guinée, une maladie inconnue caractérisée par un syndrome cérébelleux d’évolution rapidement fatale que les indigènes dénommaient kuru. Les remarquables travaux ethnologiques, cliniques et biologiques de Carleton Gajusek (qui lui valurent le prix Nobel de médecine en 1976) permirent de rapporter la cause de ces syndromes neurologiques jamais décrits dans le reste du monde à des pratiques rituelles d’endo-cannibalisme. En effet dans la région, au cours des cérémonies funéraires, les familles (principalement les femmes, les petites filles et les garçons de moins de 7 ans) devaient, selon la coutume, manger le corps des défunts et tout particulièrement leur cerveau.
L’affection est aujourd’hui attribuée à une protéine prion (PrP) contenue dans le système nerveux du cadavre et transmise lors du repas funéraire. On estime que dans les années 50, 200 personnes décédaient chaque année de kuru dans cette région de Papouasie.
En 1954, l’armée australienne s’installa à demeure dans la région et interdit le cannibalisme. Depuis cette date, l’épidémie de Kuru a lentement reculé avec seulement 6 nouveaux cas par an dans les années 90 et tout semble montrer que l’interdiction du cannibalisme a été un succès puisque tous les cas recensés sont survenus chez des individus nés avant 1959.
Y aura t il une flambée de cas de vMCJ ?
Compte tenu du regain d’intérêt pour les maladies à prions depuis l’émergence d’un nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ) en Grande Bretagne après l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), l’intérêt pour l’épidémiologie du kuru s’est ravivé. Le mode de transmission très particulier de l’affection, avec un arrêt de la contamination à la fin des années 50, permet en effet de déterminer avec une certaine précision la durée de la période d’incubation.
John Collinge et coll. ont répertorié et analysé tous les cas suspects de kuru survenus dans cette région de Papouasie entre 1996 et 2004. Onze patients ont finalement été diagnostiqués comme ayant un kuru et tous sont décédés dans les deux ans.
Le sujet le plus jeune de cette courte série avait 46 ans lors du début de la maladie et la durée d’incubation vraisemblable de la maladie s’étalait entre 39 et 56 ans (sujet de 63 ans lors du diagnostic).
Il semble donc que la période d’incubation du kuru soit très variable. Si la durée minimum est proche de 4 à 5 ans et la durée moyenne était jusqu’ici estimée à 12 ans environ (comme celle des cas de MCJ iatrogène), des incubations beaucoup plus longues, pouvant dépasser 50 ans, ne sont pas exceptionnelles.
La durée de l’incubation serait conditionnée à la fois par la quantité d’agents infectants et par des paramètres génétiques. Certains polymorphismes du gène PRNP en position 129 étant protecteur et d’autres facilitateurs. Dans cette étude, la majorité des patients étaient d’ailleurs hétérozygotes, pour le variant génétique méthionine en position 129 du gène PNRP ce qui expliquerait leur très longue période d’incubation.
Ces constatations remettent en cause l’optimisme relatif qui prévaut sur l’évolution de la vMCJ en Europe. Cent soixante cas seulement ayant été diagnostiqués au Royaume-Uni depuis la découverte de la maladie bovine, de nombreux épidémiologistes estimaient en effet jusqu’ici que l’épidémie devrait être très limitée. Pour Collinge et coll. il n’en est rien. Il est en effet possible que l’épidémie puisse connaître plusieurs pics, le pic actuel touchant les individus génétiquement à haut risque (homozygote pour le variant méthionine sur le codon 129 du PRNP), les pics suivants des sujets « protégés » par leur statut hétérozygote. De plus, les chercheurs de l’université de Londres soulignent que de nombreux arguments permettent de penser que la période moyenne d’incubation du kuru doit être plus courte que celle de la vMCJ pour laquelle la barrière d’espèce serait un facteur de retardement.
On peut donc s’attendre, selon eux, contrairement à ce que prévoient les modèles mathématiques actuellement utilisés, à de nouvelles flambées de cas de vMCJ dans les décennies à venir puisque selon toute vraisemblance, des millions de consommateurs ont été contaminés dans les années 80-90 par la consommation des quelque 2 millions de bovins malades.
Dr Anastasia Roublev
Collinge J et coll. : « Kuru in the 21st century-an acquired human prion disease with very long incubation periods. » Lancet 2006 ; 367 : 2068-74. © Copyright 2006 http://www.jim.fr